L'INTEGRATION DIFFERENCIEE AU SEIN DE L'UNION EUROPEENNE ET LA “CONSTITUTIONALISATION” DE LA ZONE EURO.
1. PREMISSE
L'intégration différenciée (ou intégration flexible selon une autre définition) au sein de l'Union européenne est une réalité juridique et politique depuis les débuts de la construction européenne, même si son application est devenue beaucoup plus
importante depuis les Traités de Maastricht et d'Amsterdam. Le Traité de Rome prévoyait déjà que le droit européen s'applique à certains territoires et non pas à d'autres, que certains Etats membres maintiennent en vigueur des régimes spéciaux (par exemple les pays du Benelux) et que les Etats membres soient autorisés par la Commission à maintenir en vie, à certaines conditions et à titre temporaire, des mesures nationales (1). Par la suite, les actes de droit dérivé ont prévu des nombreuses dérogations en faveur des Etats membres qui pouvaient justifier l'existence de situations géographiques, économiques ou sociales les empêchant d'appliquer intégralement les dispositions du droit communautaire.
Alors que les dérogations précitées étaient justifiées, pour l'essentiel, par des situations juridiques ou économiques particulières, l'intégration différenciée au sein de l'Union est devenue une nécessité politique visant à résoudre deux situations différentes mais complémentaires qui risquaient de freiner l'approfondissement du processus d'intégration européenne : d’une part, l'existence de positions différentes entre les Etats membres sur les objectifs de l'intégration, d’autre part la perspective d'un élargissement sans précédents à douze nouveaux Etats qui aurait compliqué ultérieurement le processus décisionnel au sein de l’Union (surtout dans les nombreux cas dans lesquels les Traités maintenaient en vigueur la règle de l’unanimité).
2. LES MECANISMES ET FORMULES D’INTEGRATION DIFFERENCIEE.
Un premier mécanisme d’intégration différenciée a été l’Accord de Schengen conclu en 1985 entre cinq Etats membres (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) en matière de libre circulation des personnes e de suppression des controles aux frontières. Cet Accord fut conclu en dehors du cadre institutionnel des Traités pour ètre ensuite integré
dans le droit de l’Union avec le Traité d’Amsterdam.
Mais l’intégration différenciée au sein de l’Union a acquis une dimension beaucoup plus importante avec les Traités de Maastricht et d’Amsterdam. Le Traité de Maastricht a introduit un mécanisme d’intégration différenciée (en principe temporaire mais qui risque de devenir permanent) entre les pays qui ont accepté de se doter d’une monnaie unique et
ceux qui ont demandé de bénéficier d’une dérogation (initialement le Royaume-Uni et le Danemark). En outre, le Traité de Maastricht a accordé au Royaume-Uni un Protocole spécial concernant certaines mesures de politique sociale (dérogation à laquelle le gouvernement britannique a renoncé en 1997) et au Danemark des dérogations en matière de défense, de citoyenneté européenne et de justice et affaires intérieures (2).. Le Traité d’Amsterdam, quant à lui, a introduit dans le droit primaire de l’Union le mécanisme des coopérations renforcées (voir ci-dessous sub 3) et a accordé pour l’essentiel des nouvelles dérogations (ou clauses d’opting-out) en faveur du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark en matière de coopération judiciaire et de politique d’immigration et d’asile. La période située entre le Traité de Maastricht et celui d’Amsterdam a été la plus prolifique en matière de formules institutionnelles visant à maitriser la différenciation
croissante au sein de l’Union européenne : au cours de l’année 1994 ont été presentées aussi bien la formule d’ispiration britannique de “l’Europe à la carte” ou à “géometrie variable” (3) que la théorie du “noyau dur” découlant d’un document de la CDU allemande élaboré par MM. Lamers et Schauble.. Ce dernier modèle suppose que le groupe d’Etats membres interessés par la différenciation reste toujours le mème, encore qu’il soit ouvert à l’adhésion d’autres pays, et soit doté d’une certaine autonomie d’action par rapport aux autres Etats membres. Le modèle “britannique”, par contre, loin de se fonder sur l’idée de donner vie à une sorte de sous-système au sein de l’Union, semble plutòt animé par l’intention de rendre plus efficaces les mécanismes de décision, évitant que dans certaines matières le veto d’un ou plusieurs Etats membres puisse empecher les Etats qui le souhaitent d’entreprendre des initiatives communes. En Décembre 1995, la lettre commune Chirac-Kohl propose d’introduire dans le Traité une clause de caractère général sur les coopérations renforcées qui sera en effet reprise dans le Traité d’Amsterdam (voir ci-dessous). Une autre variante de l’Europe à géometrie variable
est représentée par l’expression “cercles concentriques” proposés par Balladur en 1994 avec laquelle le Premier Ministre français suggérait de différencier les Etats membres de l’époque et les futurs. Le cercle plus large aurait inclu les Etats qui avaient vocation à adhérer à l’Union européenne et ceux liés par des Accords de coopération avec l’UE. Le cercle intermédiaire aurait inclu les Etats de l’UE qui appliquaient les politiques communes, alors que des cercles plus restreints auraient été limités aux Etats adhérents à des coopérations renforcées variables et ouvertes à tous les Etats de l’UE.
La formule des “cercles concentriques” fut reprise ensuite par Jacques Delors qui distinguait cependant une “grande Europe” formée par tous les Etats membres et une “petite Europe” davantage intégrée qui aurait constitué une “Fédération d’Etats-nation”. Jacques Delors a ensuite precisé sa conception des “cercles concentriques” en proposant d’organiser une “avant-garde” d’Etats disposés à progresser sur la voie de l’intégration politique et à conclure un nouveau Traité à cet effet. Sa conception de l’avant-garde d’Etats a été reprise ensuite dans le projet de Traité denommé “Penelope” redigé en 2002 par un groupe de travail de fonctionnaires européens presidé par François Lamoureux sur mandat du Président Prodi (4). Sur le plan de l’analyse politique du processus d’intégration européenne, il est indéniable que la théorie de l’avant-garde ou du “noyau dur” doit ètre préferée à celle d’une Europe à géometrie variable puisque elle prévoit la formation d’un groupe pionnier de nature permanente et permet d’éviter une fragmentation excessive de l’Union européenne.
3. LES COOPERATIONS RENFORCEES.
Comme indiqué ci-dessus, le Traité d’Amsterdam a introduit dans le droit primaire de l’Union un mécanisme de différenciation - la coopération renforcée - susceptible d’ètre utilisé chaque fois que, en présence de certains critères définis par le Traité, un groupe d’Etats veuille procéder plus rapidement sur la voie de l’intégration dans une matiére
déterminée. Les conditions prévues par le Traité d’Amsterdam pour permettre le recours à la clause des coopérations renforcées étaient cependant très nombreuses et restrictives. En effet la coopération renforcée devait promouvoir les objectifs de l’Union et proteger ses intérets; en outre, elle devait respecter les principes stipulés dans les Traités et le cadre
institutionnel unique de l’Union. De plus, elle ne devait pas préjuger les compétences, les droits, les obligations et les intérets des Etats membres qui ne souhaitaient pas y participer, ni l’acquis communautaire. Dans le domaine communautaire (à savoir le premier pilier de l’Union européenne), la coopération renforcée ne devait pas concerner des matières de compétence exclusive et ne devait pas constituer une discrimination ni une restrction aux échanges, ni produire des distorsions de concurrence entre Etats membres. Enfin, la coopération renforcée devait ètre utilisée uniquement en “dernier ressort”, c’est à dire dans les cas où il ne s’avererait pas possible d’atteindre les objectifs des Traités en appliquant les procédures prévues par ces derniers. A cette liste de conditions il s’ajoutait, sur le plan de la procédure, la faculté pour chaque Etat membre d’activer une sorte de mécanisme de blocage, dit “emergency brake” qui permettait de saisir le Conseil européen de la question en vue d’une décision à l’unanimité.
Cette liste de conditions restrictives, aussi bien sur le fond que sur la procédure, explique pourquoi aucune coopération renforcée n’ait été activée dans la période située entre le Traité d’Amsterdam et le Traité de Lisbone. Il a fallu attendre le Traité de Nice et, surtout, le Traité de Lisbone, pour que les obstacles plus importants à l’utilisation d’une coopération renforcée - et surtout la faculté pour chaque Etat membre de bloquer ou de rendre plus difficile la procédure d’application du mécanisme - soient supprimés. Ce n’est sans doute pas un hasard si les premières coopérations renforcées ont été activées aprés l’entrée en vigueur du Traté de Lisbonne. (le règlement instituant le divorce transnational en 2010, le règlement instituant le brevet européen en 2012 et la décision autorisant le lancement d’une coopération renforcée en matière de taxe sur les transactions financières en 2013).
4. L’OBSTACLE DE LA CLAUSE DITE DE “DERNIER RESSORT”..
Bien que l’article 20 du Traité sur l’Union européenne autorise en théorie le recours aux coopérations renforcées dans toutes les matières qui ne sont pas de compétence exclusive de l’Union et, partant, dans des “blocs” de politiques (par exemple la politique fiscale ou la politique sociale de l’Union), en réalité les exigences procédurales nécessaires pour activer une coopération renforcée (notamment la clause dite de “dernier ressort” qui suppose la vérification préalable de l’impossibilité pour le Conseil de statuer à l’unanimité sur une proposition de la Commission) limitent de facto le recours aux coopérations
renforcées à des actes législatifs individuels. En effet, les seules matières qui permettent le recours aux coopérations renforcées par “blocs” de politiques sont la libre circulation des personnes en vertu de l’Accord de Schengen et la politique de défense en vertu de l’article 42, par 6, du TUE (coopération structurée permanente). Cette interprétation est confirmée
par le fait que les trois coopérations renforcées activées jusqu’à présent concernent trois actes législatifs individuels (voir ci-dessus).
L’analyse juridique des dispositions du Traité de Lisbone fait apparaitre la necessité que la coopération renforcée concerne au moins neuf Etats membres et qu’elle constitue une solution de “dernier ressort”, à savoir que les Etats membres demandeurs peuvent recourir à cette forme de “flexibilité” seulement si le Conseil “établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent pas étre atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble”.(art. 20, par. 2, du TUE). Ainsi que le relève la doctrine (5), il s’agit d’une condition visant à éviter que chaque négociation infructueuse au sein du Conseil de l’Union puisse conduire à une coopération renforcée, au détriment d’une solution de compromis, circostance qui - comme affirmé par la Cour de Justice dans son arrèt du 16 Avril 2013 (6) - serait nuisible aux intérets de l’Union et au processus d’intégration. Dans ce mème arret, la Cour de justice estime que seulement les situations caractérisées par l’impossibilité d’adopter dans un avenir prévisible une réglementation pour l’Union dans son entierété rendent légitime la décision d’autoriser une coopération renforcée (voir par. 50 de l’arrèt) et que la Cour demeure compétente pour vérifier l’impartialité de l’examen effectué par le Conseil concernant le caractère pertinent et suffisant de la motivation (voir par. 53 et 54 de l’arret). A la lumière de ce qui précède, il nous parait difficile qu’un groupe d’Etats membres puisse décider à priori d’activer une coopération renforcée en matière de politique fiscale ou de politique sociale, en faisant abstraction de l’évaluation qui doit ètre effectuée par le Conseil - sous le controle de la Cour - sur l’impossibilité de statuer dans un délai
raisonnable sur une proposition spécifique de la Commission. Par conséquent, mème si neuf Etats membres devaient affirmer à priori leur volonté politique d’activer une coopération renforcée en matière de politique fiscale, il faudrait vérifier ensuite leur disponibilité concrète à adopter des actes législatifs individuels en matière fiscale (par exemple l’Espagne
pourrait décider de ne pas souscrire à une proposition de la Commission concernant la taxation des émissions polluantes, alors que l’Allemagne pourrait ne pas adhérer à une proposition de la Commission en matière d’impot européen sur les sociétés).
Cette interprétation nous parait confortée indirectement par l’opinion de l’Avocat général Bot dans l’affaire rélative à la coopération renforcée en matière de brevet européen lorsque il estime que le Conseil dispose d’une certaine discretionalité dans son évaluation de l’impossibilité d’atteindre un compromis dans un délai raisonnable, puisque le Conseil est “dans la position la plus idoine pour évaluer si les Etats membres démontrent une volonté de compromis et soient en mesure de presenter des propositions qui puissent conduire, dans un avenir prévisible, à l’adoption d’une règlementation pour l’Union dans son ensemble” (8) (évaluation qui peut ètre faite uniquement sur la base d’une proposition législative émanant
de la Commission européenne).
5. COOPERATION RENFORCEE ET UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE.
Comme indiqué ci-dessus (voir section 3), les deux modèles d’intégration différenciée (à savoir la formule britannique de l’Europe à la carte ou à géométrie variable et la formule franco-allemande du “noyau dur” ou de l’avant-garde) répondent à deux logiques différentes de l’intégration européenne. La première formule s’est de facto concrétisée dans la disposition du Traité sur la coopération renforcée car elle permet à des coalitions non homogènes d’Etats membres de coopérer plus étroitement et d’adopter des actes législatifs répondant à leurs intérets occasionnels. En effet, seulement quatre Etats membres (Belgique, Allemagne, France et Portugal) participent tous aux trois coopérations renforcées activées
jusqu’à présent. Tout porte à croire que des nouvelles coopérations renforcées dans les domaines de compétence concurrente de l’Union réduiront encore davantage le nombre d’Etats membres qui auront participé à tous les actes législatifs. Par conséquent, les coopérations renforcées n’aboutiront pas à créer un groupe homogène d’Etats membres
desireux de progresser sur la voie de l’intégration, mais constitueront des coalitions occasionnelles et non homogènes en fonction des actes adoptés. Par contre, l’Union économique et monétaire, initialement prévue comme un “noyau dur”
homogène de pays qui se sont dotés d’une monnaie unique en attendant que d’autres Etats membres remplissent les critères économiques nécessaires pour adhérer à la zone Euro, est devenue un groupe permanent de pays qui souhaitent approfondir leur niveau d’intégration en vue de batir, après l’Union bancaire, une Union fiscale, une véritable Union économique et d’aller progressivement vers l’Union politique. Par conséquent, la zone Euro représente le deuxième modèle d’intégration différenciée qui suppose que le groupe initial d’Etats membres reste identique, mème s’il est ouvert à l’adhésion d’autres pays, à l’exception de ceux qui souhaient maintenir à titre permanent leur dérogation en principe temporaire (Royaume-Uni, Danemark et Suède à l’heure actuelle).
Ainsi que le souligne une analiste de l’intégration européenne (9), si les Etats membres avaient voulu choisir un modèle d’intégration différenciée qui puisse permettre la formatio au sein de l’Union d’un “noyau dur” d’Etats plus integré, ils auraient pu introduire dans les Traités une disposition similaire à celle contenue dans le projet de Constitution de l’UE presenté en 1994 par la Commission institutionnelle du PE (appelé projet Herman) L’art. 46 de ce projet indiquait que “les Etats membres qui le souhaitent peuvent adopter entre eux des dispositions leur permettant d’aller plus loin et plus vite que les autres sur la voie de l’intégration européenne, à la double condition que cette avancée reste toujours ouverte à
chacun des Etats membres qui voudraient s’y joindre, et que les dispositions qu’ils prennent restent compatibles avec les objectifs de l’Union et les principes de sa Constitution”.
Indépendamment de ce que prévoyait le projet Herman, la différence essentielle entre l’intégration différenciée représentée par l’UEM et celle prévue par la coopération renforcée consiste dans le fait que l’UEM a été conçue par les auteurs du Traité de Maastricht comme une étape obligée dans le processus d’intégration, qui aurait conduit progressivement à la création d’une Union européenne pleinement integrée sur le plan économique et politique. Par conséquent, l’UEM aurait dù progressivement inclure tous les Etats membres, le premier groupe des pays dont la monnaie est l’Euro devant constituer une avant-garde à laquelle se seraient joints ensuite les pays bénéficiant d’une dérogation.
Cette péculiarité de l’UEM explique pourquoi, à différence du mécanisme des coopérations renforcées, l’Union économique et monétaire peut deroger au principe d’unité institutionnelle auquel les coopérations renforcées doivent par contre se conformer. L’UEM dispose en effet d’une structure institutionnelle propre comportant, entre autres, la création d’une nouvelle Institution (la Banque centrale européenne) et disposant depuis le Protocole n. 14 d’un organe informel (l’Eurogroupe) composé uniquement des Ministres de l’économie des Etats membres dont la monnaie est l’Euro. Par ailleurs, non seulement des nouveaux organes ont été créés pour la gestion de la politique monétaire, auxquels participent
uniquement les Etats membres dotés de la monnaie unique (voir par exemple le Mécanisme européen de stabilité) mais aussi bien le document de la Commission européenne appelé “Blueprint pour une génuine UEM” que les rapports des quatre Présidents prévoient la création d’une série de nouveaux mécanismes qui s’appliqueraient uniquement aux pays disposant de la monnaie unique (par exemple l’attribution à la zone Euro d’une capacité fiscale autonome, voire mème la création d’un budget autonome pour les pays de l’Eurozone).
6. LA “CONSTITUTIONALISATION” DE LA ZONE EURO.
Les limites du présent article ne nous permettent pas d’approfondir les différences entre l’intégration différenciée représentée par l’UEM et celle découlant des dispositions du Traité sur les coopérations renforcées. Comme indiqué ci-dessus (voir dernière phrase de la page 3), l’on ne peut contester que la consolidation d’un groupe pionnier de nature permanente
- tel que celui de la zone Euro - est de loin préferable à la prolifération de coopérations renforcées à composition variable qui permettent certes d’adopter des actes législatifs individuels mais qui n’établissent pas un “noyau dur” de pays désireux de progresser tous ensemble sur la voie de l’intégration politique. Par conséquent, il serait souhaitable de “constitutionaliser” la zone Euro en lui réconnaissant la faculté de prendre une série de nouvelles mesures qui renforceraient son niveau d’intégration sans subir des vetos de la part des pays qui ont decidé de ne pas adhérer à la monnaie unique.
Certes, l’article 136 TFUE permet déjà aux pays de la zone Euro de prendre des nouvelles mesures pour renforcer l’Union économique et monétaire, mais de telles mesures sont limitées à renforcer la coordination et la surveillance de la discipline budgétaire ou alors à élaborer les orientations de politique économique en veillant à ce qu’elles soient compatibles avec celles qui sont adoptées pour l’ensemble de l’Union. D’autres mesures pourraient ètre prises sur la base de l’art. 352 TFUE mais il serait nécessaire de les adopter moyennant le recours à une coopération renforcée et à condition d’atteindre l’un des objectifs visés par le Traité. Pour faire un exemple concret, les articles précités ne seraient pas suffisants pour adopter un budget autonome pour la zone Euro financé par des nouvelles ressources propres. Par conséquent, les seules voies possibles pour donner à la zone Euro la capacité de prendre des nouvelles mesures lui permettant de progresser sur la voie de l’intégration politique sont ou bien la rédaction d’un nouveau Traité qui renforce, entre autres, la gouvernance économique de la zone Euro , ou bien la rédaction d’un Protocole instituant une “coopération renforcée permanente” entre les Etats membres dont la monnaie est l’Euro aux fins de permettre l’adoption parmi eux de coopérations renforcées dans les domaines de compétence de l’Union. L’adoption de la monnaie unique de la part de nouveaux Etats membres impliquerait leur adhésion aux coopérations renforcées déjà instaurées entre les autres Etats membres sur la base des dispositions du Protocole..
La rédaction d’un nouveau Traité portant révision du Traité de Lisbonne semble exclue dans les deux prochaines années en raison de la réticence de la plupart des Etats membres à ouvrir la “boite de Pandore” d’une rénégociation des Traités en présence des demandes britanniques visant à rapatrier vers les Etats certaines compétences octroyées à l’Union (par exemple en matière de libre circulation des personnes, de politique sociale et migratoire)..
En revanche, tel ne semble pas ètre le cas pour la rédaction d’un Protocole pour la zone Euro dans la mesure où le gouvernement britannique affirme ne pas étre contraire à une intégration plus étroite de la zone Euro dans la mesure où le Royaume-Uni disposerait d’une flexibilité plus grande pour certaines politiques au sein de l’Union européenne (donc intégration différenciée plus fléxible au sein de l’Union en échange d’un noyau plusintegré composé par les pays de la zone Euro).
7. PROJET DE PROTOCOLE INSTAURANT UNE COOPERATION RENFORCEE
PERMANENTE ENTRE LES PAYS DE LA ZONE EURO.
Les gouvernements des pays de la zone Euro pourraient proposer aux autorités britanniques le projet de Protocole suivant en échange de quelques nouvelles clauses dérogatoires (ou clauses d’opting-out) demandées par le Royaume-Uni concernant la libre circulation des personnes, la politique sociale et/ou migratoire au sein de l’Union européenne :
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES, DESIREUSES de promouvoir la réalisation des objectifs de l’Union européenne, de protéger ses intérets et de renforcer son processus d’intégration, DETERMINES à poursuivre le processus d’une Union toujours plus étroite entre les peuples européens, CONSCIENTES de la necessité de permettre aux Etats membres dont la monnaie est l’Euro de réaliser des nouveaux progrès sur la voie de leur intégration politique, SOUHAITANT adopter des dispositions spécifiques pour une coopération renforcée entre les Etats membres dont la monnaie est l’Euro, en attendant que l’Euro devienne la monnaie de tous les Etats membres de l’Union européenne, ONT CONVENU les dispositions suivantes, qui sont annexées au Traité sur l’Union européenne.
Article 1
Les Etats membres dont la monnaie est l’Euro instituent parmi eux une coopération renforcée permanente, selon les modalités prévues par le présent Protocole et à condition que tous les Etats précités y participent. Sauf dispositions contraires du présent Protocole, demeurent applicables les dispositions du Traité sur l’Union européenne rélatives aux
coopérations renforcées (article 20 du TUE et articles 326-334 du TFUE).
Article 2
Les Etats membres dont la monnaie est l’Euro adoptent toutes les mesures nécessaires à l’achèvement de l’Union économique et monétaire. Ces Etats peuvent instaurer parmi eux des coopérations renforcées dans les matières de compétence de l’Union. Les Etats précités présentent des initiatives à cet effet à la Commission européenne, en précisant le champ d’application et les objectifs poursuivis. Ces initiatives sont transmises, pour information, au
Parlement européen et au Conseil.
Article 3
La Commission peut presenter au Conseil une proposition à cet égard. Dans les cas où elle ne présente pas de proposition, la Commission informe les Etats dont la monnaie est l’Euro des motifs de sa décision. Les dispositions pertinentes de l’article 331, par 1, du TFUE, demeurent applicables. La décision sur la proposition de la Commission est adoptée par le Conseil sur la base des dispositions pertinentes du Traité rélatives à la matière faisant objet de la coopération renforcée et après approbation du Parlement européen.
Seuls les membres du Conseil qui représentent les Etats membres dont la monnaie est l’Euro participent au vote. L’unanimité est constituée par les voix des seuls Etats membres dont la monnaie est l’Euro. La majorité qualifiée se définit conformément à l’art. 238, par. 3, du TFUE. En ce qui concerne les délibérations du Parlement européen sur les propositions de la Commission, seuls les membres du Parlement élus dans les Etats dont la monnaie est l’Euro participent au vote.
Article 4
L’adoption de l’Euro par un Etat membre disposant d’une derogation implique l’adhésion aux coopérations renforcées déjà instaurées entre tous les Etats membres dont la monnaie est l’Euro. Si nécessaire, la Commission adopte les éventuelles mesures transitoires nécessaires pour l’application à l’Etat membre en question des actes déjà adoptés dans le cadre des coopérations renforcées.
Article 5.
Le présent Protocole produit ses effets jusqu’au moment où il y aura des Etats membres disposant d’une derogation à la monnaie unique.
8. CONCLUSION.
Conformément aux dispositions du Traité, le projet de Protocole susvisé devrait ètre signé et ratifié par tous les Etats membres, mème s’il serait applicable uniquement aux Etats dont la monnaie est l’Euro. Cette procédure a été appliquée, par exemple, pour le Protocole social de 1992 qui a permis d’exonérer le Royaume-Uni de l’application de l’Accord social valable uniquement pour les autres onze Etats membres. L’adoption d’un Protocole - qui a la mème valeur juridique d’un Traité - permet de respecter la règle de l’unanimité pour la signature et la ratification d’un nouveau Traité dans le cadre institutionnel de l’Union. Le Protocole susvisé permettrait de “constitutionaliser” la zone Euro qui deviendrait le “noyau dur” ou “l’avant-garde” de l’Union européenne, tout en permettant au Royaume-Uni et à d’autres pays de rester à l’intérieur de la mème Union, conformément à la théorie de “l’avant-garde” chère à Jacques Delors.
PAOLO PONZANO (Senior Fellow auprès du Centre Schuman de l’IUE).
NOTES DE BAS DE PAGE
(1) Voir, par exemple, l’ancien article 17, par. 4, du Traité CEE selon lequel la
Commission peut autoriser un Etat membre à maintenir en vigueur un droit de
douane à caractère fiscal, pendant une période temporaire, en cas de graves difficultés.
(2) Voir le compromis dit d’Edimbourg des 11/12 Décembre 1992.
(3) Voir discours tenu par John Major à l’Université de Leyden le 7 Septembre 1994.
(4) Voir “Penelope : un nouveau Traité réfondateur” - Le droit et les politiques de
l’UE - dirigé par Alfonso Mattera - Clément Juglar Publications, 2003
(5) Voir Giulia Rossolillo : “Cooperazione rafforzata e Unione economica e monetaria:
modelli di flessibilità a confronto” in “Rivista di Diritto internazionale - Fasc. 2/2014
Milano – Giuffré Editore.
(6) Arret relatif aux affaires C-274/11 et C-295/11 (brevet européen).