REORIENTER L'EUROPE VERS LA CROISSANCE ET L'EMPLOI : L'INITIATIVE CITOYENNE POUR UN PLAN EUROPEEN EXTRAORDINAIRE.
1) PREMISSE
Au lendemain des élections européennes, qui ont confirmé l'augmentation attendue des formations eurosceptiques dans la plupart des pays de l'Union européenne, aussi bien le Président Hollande que le Premier Ministre français, Manuel Valls, ont déclaré qu'il faudrait réorienter l'Europe vers la croissance et l'emploi. Cette exigence avait été manifestée dès le 7 Janvier 2014 par de nombreuses organisations de la société civile (mouvements fédéralistes et européens, plusieurs syndicats et autres organisations représentatives) en présentant à la Commission européenne une initiative citoyenne pour un plan européen extraordinaire en faveur d'un développement soutenable et de l'emploi.
Cette initiative citoyenne, présentée en vertu de l'art. 11 du Traité de Lisbonne, vise à recueillir un million de signatures dans au moins sept pays européens afin de demander à la Commission européenne, en tant qu'institution européenne dotée du droit d'initiative législative, la présentation d'une proposition législative permettant d'adopter un plan européen extraordinaire d'investissements publics et de créer un Fonds de solidarité pour réduire le chômage, notamment celui des jeunes qui a atteint des pourcentages insupportables dans la plupart des pays de l'Union européenne.(1)
2) RAPPEL DE L'INITIATIVE CITOYENNE.
L'initiative citoyenne est un instrument de démocratie participative introduite par le Traité de Lisbonne. Il s'agit d'une innovation importante dans le fonctionnement de l'Union européenne puisque seulement treize parmi les vingt-huit Etats membres reconnaissent à un nombre significatif de leurs citoyens le droit de soumettre une proposition de loi à l'attention de leur Parlement national (voir l'article sur l'initiative citoyenne dans RDUE n. 4-2012, page 615). L'on pourrait donc en déduire que l'Union européenne est allée plus loin que ses propres Etats membres en matière de participation directe des citoyens au processus législatif. Il existe cependant une différence importante entre le "droit d'initiative" reconnu par le Traité de Lisbonne aux citoyens européens et celui en vigueur dans les treize Etats membres précités. Dans ces Etats membres, le droit d'initiative législative des citoyens permet à ces derniers de soumettre directement une proposition de loi au législateur, à savoir le Parlement national. Dans le cas de l'Union européenne, les citoyens peuvent demander à la Commission européenne - qui dispose en vertu des Traités européens du droit quasi-exclusif d'initiative législative - de présenter une proposition de loi, mais ils n'ont pas la garantie juridique que la Commission européenne donne une suite favorable à leur demande et que, par conséquent, le législateur européen (à savoir le Parlement européen et/ou le Conseil des Ministres européen) soit effectivement appelé à examiner la proposition de loi requise par les citoyens. L'article précité (RDUE n.4-2012) explique en détail les raisons de cette particularité du système institutionnel de l'Union européenne d'après lequel le Parlement européen ne dispose pas non plus du droit d'initiative législative. Toutefois, le même article explique les raisons pour lesquelles, dans la pratique, la Commission européenne donne une suite favorable à environ 90% des demandes législatives qui lui sont adressées par les autres institutions de l'Union, par les Etats membres et par les groupes de pression. Par conséquent, l'initiative citoyenne pourrait avoir, dans la pratique, une efficacité analogue à celle dont dispose le droit d'initiative législative des citoyens dans les treize Etats membres précités.
3) LES PREMIERES INITIATIVES CIYOYENNES.
A la fin avril 2014, 42 initiatives citoyennes ont été soumises à la Commission européenne. Parmi ces 42 initiatives, 18 ont été rejetées par la Commission car elles se situaient en dehors des compétences de l'Union européenne ou, en tout état de cause, en dehors des taches confiées à la Commission par les Traités (par exemple, les initiatives visant à éliminer les centrales nucléaires, à supprimer la légalisation de la prostitution ou à traduire l'hymne européen dans la langue espéranto).
Parmi les 24 initiatives citoyennes jugées éligibles par la Commission car fondées sur les bases juridiques du Traité, trois ont atteint le quorum d'un million de signatures (droit à la sauvegarde de l'eau publique ; interdiction de financer des activités impliquant la destruction des embryons humains ; lutte contre la vivisection des animaux). La Commission s'est déjà prononcée au sujet de l'initiative concernant l'eau publique qui a recueilli à elle seule un million six cent mille signatures.
La réaction de la Commission a été de rappeler la législation européenne existante au sujet de la protection et de la qualité des eaux et de proposer une série de recommandations et autres initiatives de "soft law" adressées aux Etats membres. En revanche, la Commission n'a pas les moyens juridiques de privilégier l'eau publique dans la mesure où le Traité impose l'égalité des conditions de concurrence au sein de l'Union.
Dix initiatives sur les 24 jugées éligibles n'ont pas réussi à atteindre le quorum d'un million de signatures (par exemple, celle visant à augmenter la dotation financière des programmes d'échanges des jeunes ou celle concernant un revenu minimum). Trois initiatives ont été retirées par les Comités promoteurs et huit initiatives sont actuellement en cours. Au total, les initiatives déjà achevées ont recueilli environ cinq millions et demi de signatures, qui peuvent être considérées comme le premier noyau d'un espace public européen.
4) L'INITIATIVE CITOYENNE "NEW DEAL FOR EUROPE".
L'initiative citoyenne présentée le 7 Janvier 2014 par un large nombre d'organisations fédéralistes, européistes, syndicales, environnementalistes et autres organisations de la société civile part du constat - partagé par la plupart des économistes - que la politique d'austérité mise en œuvre par l'Union européenne depuis le début de la crise économique n'a pas produit les résultats escomptés : le produit national brut de la plupart des pays de l'Union a baissé alors que le chômage a fortement augmenté jusqu'au chiffre sans précédent d'environ 26 millions de chômeurs. En outre, la dette publique de la plupart des pays de l'Union a augmenté en dépit des mesures prises pour réduire les dépenses publiques dans ces mêmes pays. En d'autres mots, les mesures d'austérité ont réduit la consommation et aggravé la récession économique en Europe. En agissant de la sorte, les gouvernements des pays de l'Union n'ont pas tenu compte de l'avertissement lancé il y a quelques années par l'ancien Ministre italien des Finances, Tommaso Padoa-Schioppa, selon lequel "la rigueur incombe aux Etats, la croissance revient à l'Union européenne". En effet, si les Etats membres doivent maintenir sous contrôle les budgets nationaux afin d'éviter qu'un niveau d'endettement excessif ne provoque des attaques spéculatives contre la monnaie unique, le pendant de cette politique restrictive au niveau national doit être nécessairement une politique expansive au niveau européen dans la mesure où le budget européen n'a pas de dettes et ne peut, dès lors, faire l'objet d'attaques spéculatives. Autrement dit, il revient à l'Union européenne de financer un programme d'investissements publics qui puisse relancer la croissance et réduire le chômage dans la mesure où la plupart des Etats membres ne sont pas en mesure de prendre en charge un tel programme à cause du respect des critères du Pacte de Stabilité et du Fiscal Compact.
C'est pour ces raisons qu'un nombre important d'organisations de la société civile ont lancé l'initiative citoyenne "New Deal for Europe" le 7 Janvier 2014 après avoir constitué un Comité européen (comme prévu par le règlement d'application de l'art. 11 du Traité de Lisbonne) et des Comités nationaux pour le recueil des signatures dans plusieurs pays de l'Union (Belgique, France, Espagne, Italie, Grèce, Luxembourg, République tchèque, Hongrie) auxquels se sont ajoutés successivement d'autres Comités (Allemagne, Autriche, Chypre).
L'initiative citoyenne "New Deal for Europe" vise l'adoption par les institutions de l'Union d'un plan européen extraordinaire d'investissements publics pour la production et le financement de biens publics européens (énergies renouvelables, réseaux d'infrastructures, télécommunications à haut débit, protection de l'environnement et du patrimoine culturel, agriculture écologique, etc.), ainsi que l'établissement d'un Fonds européen de solidarité pour la création de nouveaux emplois, en particulier pour les jeunes. Le financement de ce programme devrait être assuré par des nouvelles ressources propres du budget européen, telles qu'une taxe sur les transactions financières et une "taxe carbone" sur les émissions d'anhydride carbonique.
5.LES ELEMENTS ESSENTIELS DE L'INITIATIVE "NEW DEAL FOR EUROPE".
a) Le caractère européen du plan.
En vertu du principe déjà rappelé : "La rigueur incombe aux Etats, la croissance revient à l'Union européenne", il n'est guère possible d'envisager la relance de la croissance économique en Europe par le biais de programmes nationaux. La plupart des pays européens souffrent d'un niveau d'endettement budgétaire qui ne leur permettrait pas de consacrer des ressources significatives à un vaste programme d'investissements publics, tels qu'ils seraient nécessaires pour renverser la récession en cours. Le respect des critères du Pacte de Stabilité et du Fiscal Compact (3% du PIB pour le déficit annuel et parité structurelle du budget national à partir de 2015 ; réduction progressive de la dette publique jusqu'au niveau de 60% du PIB dans les 20 prochaines années) empêche la plupart des pays de l'Union, sauf changement des critères précités, de consacrer des dizaines de milliards par an au financement d'investissements publics qui seraient pourtant nécessaires. L'expérience faite dernièrement par certains Etats membres (par exemple l'Italie) montre combien il est difficile de consacrer des ressources suffisantes et/ou de réduire l'imposition fiscale pour améliorer le pouvoir d'achat des citoyens et relancer la consommation. A supposer même que l'Union européenne décide d'assouplir les critères du Pacte de Stabilité (par exemple, en exemptant du calcul des 3% du PIB les dépenses nécessaires pour financer les investissements productifs), il n'est nullement certain que les marchés financiers ne pénalisent pas les pays qui augmenteraient ainsi leur déficit budgétaire par l'augmentation des taux d'intérêt, ce qui annulerait une large partie du bénéfice attendu par cette opération financière. Par ailleurs, des mesures expansives prises au seul niveau national seraient inefficaces car une large partie de leurs effets économiques serait compensée par une augmentation des importations en provenance d'autres pays européens.
La mise en œuvre à ce jour du "Pacte pour la croissance et l'emploi" décidé en principe par le Conseil européen de Juin 2012 confirme largement ce qui précède. Ce Pacte prévoyait un apport financier du budget européen de 60 milliards d'euros, dont seulement 5 milliards d'argent frais et 55 milliards provenant du recyclage des crédits destinés aux Fonds structurels de l'UE. Pour le reste, la Banque européenne d'investissements (BEI) aurait dû consacrer 60 milliards d'euros au financement d'investissements et projets d'infrastructures dans les pays de l'Union. Jusqu'à présent, l'utilisation des crédits destinés aux Fonds structurels n'a été que partielle et le financement de micro-projets dans la plupart des pays n'a pas renversé la tendance récessive ni permis la création d'un nombre significatif de nouveaux emplois. Par ailleurs, la BEI n'a pu consacrer les 60 milliards d'Euros prévus au financement de projets d'investissements ou d'infrastructures faute de cofinancement national de la part des pays bénéficiaires (ce qui confirme l'absence de ressources nationales disponibles). Il s'ensuit que seul un plan européen financé par le budget de l'Union et par des "euro-obligations" aurait la capacité financière nécessaire pour sortir l'Europe de la crise économique et créer des nouveaux emplois.
b) le caractère extraordinaire du plan.
Le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 ne dispose pas des ressources nécessaires pour financer un vaste programme d'investissements publics tel qu'il serait nécessaire pour financer la création de nouvelles infrastructures énergétiques, de transport et de télécommunications, relancer la consommation de biens publics européens et créer de nouveaux emplois stables. D'une part, les réductions apportées au projet de cadre financier établi par la Commission européenne ont frappé surtout les crédits destinés à la recherche et l'innovation, d'autre part les crédits consacrés à l'emploi des jeunes (la "Garantie Jeunes"), qui s'élèvent à environ neuf milliards pour la période 2014-2015, sont manifestement insuffisants pour réduire de manière significative le chômage des jeunes dans la plupart des Etats membres.
Des investissements très importants sont nécessaires pour financer la création de nouvelles infrastructures en Europe. Selon des estimations préliminaires de la Commission européenne, un montant d'investissements se situant entre 1.500 et 2.000 milliards d'Euros seraient nécessaires dans les 30 prochaines années dans les secteurs des transports, de l'énergie et des télécommunications (dont 550 milliards pour réaliser le "Trans-European Transport Network (TEN-T), 400 milliards pour les réseaux de distribution énergétiques et les réseaux dits intelligents, 500 milliards pour la modernisation et la construction de nouvelles capacités énergétiques, etc.). Enfin, entre 180 et 270 milliards d'euros d'investissements seraient requis pour fournir à toutes les familles le haut débit rapide et ultra-rapide d'ici l'année 2020. (2)
Par conséquent, les crédits disponibles à l'heure actuelle dans le budget européen sont manifestement insuffisants pour un programme d'investissements publics tel qu'il serait nécessaire pour réaliser les réseaux d'infrastructures mentionnées ci-dessus et pour réduire de manière significative le nombre des chômeurs, surtout parmi les jeunes européens. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de lancer un plan de développement extraordinaire, financé par des nouvelles ressources.
Le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 prévoit une révision à mi-parcours (mid term review) à la fin 2016-début 2017, période qui pourrait coïncider avec l'adoption par les institutions européennes d'un plan de développement extraordinaire. Ce calendrier ne serait pas nécessairement trop tardif car, selon un document de la Commission européenne, l'Europe ne sortira pas de l'actuelle crise économique avant la fin de la décennie. A supposer que la révision à mi-parcours ne permette pas de dégager des ressources suffisantes pour le financement du plan en raison de la nécessité de réunir l'unanimité des 28 Etats membres, l'on ne peut pas exclure que les pays de la zone euro ou les pays désireux de mettre en œuvre le plan de développement selon la formule d'une "coopération renforcée" décident de créer un instrument financier propre à la zone euro ou d'octroyer des nouvelles ressources par la voie d'un accord intergouvernemental (selon la formule utilisée pour la création du Mécanisme européen de Stabilité) (voir également ci-dessous sous point c).
c) la création de nouvelles ressources propres pour le budget de l'Union.
L'initiative citoyenne "New Deal for Europe" part du constat, contenu dans un rapport de la Fondation "Notre Europe" (3), que la relance de l'économie européenne exige un important renversement de tendance, avec un montant de nouveaux investissements publics de l'ordre de 1% du PIB européen, à savoir d'au moins 100 milliards d'euros par an. Compte tenu de l'impossibilité de repérer cette somme dans le cadre du budget actuel, l'ICE "New Deal for Europe" propose la création de deux nouvelles ressources propres, à savoir une taxe sur les transactions financières et une "taxe carbone". Les ressources provenant des taxes précitées permettraient au budget européen de contracter des "euro-obligations" (Euro Project bonds) et de stimuler des investissements privés supplémentaires en vue de la réalisation des projets d'infrastructures et de la production de biens publics européens tels que mentionnés ci-dessus. La taxe sur les transactions financières devrait être utilisée pour rendre socialement soutenable la transition du système économique et pour déplacer, au moins en partie, la charge fiscale du travail précaire vers les rentes financières. Cette taxe permettrait, selon les calculs de la Commission européenne, de dégager entre 30 et 40 milliards d'Euros chaque année. A l'heure actuelle, une proposition de directive concernant l'introduction de cette taxe (TTF) au niveau européen est en discussion au sein du Conseil selon la formule des "coopérations renforcées" qui permettent à une partie des Etats membres d'adopter un acte européen en l'absence d'unanimité. Les conditions pour le recours à une "coopération renforcée" ont été jugées réunies par la Cour de Justice européenne qui a rejeté un recours présenté par le gouvernement britannique. La question essentielle qui se pose est de savoir si les onze Etats membres disposés, à ce jour, à introduire cette nouvelle taxe sont également disposés à verser au moins une partie des ressources provenant de la TTF au budget européen (condition essentielle pour financer une partie du plan d'investissements publics préconisé par l'initiative citoyenne "New Deal for Europe").
La "taxe carbone" ferait partie d'une révision générale du système d'imposition des produits énergétiques afin de réduire le niveau d'importations de combustibles fossiles et de rendre plus attrayante l'utilisation de produits énergétiques à émission réduite de CO2. Cette approche avait été déjà préconisée par la Commission européenne dans sa communication du 13 Avril 2011 pour une imposition fiscale plus intelligente de l'énergie au sein de l'Union européenne (4). La création d'une "taxe carbone" devrait permettre de verser au budget européen des ressources de l'ordre de 50 milliards par an. Cette somme serait utilisée également comme garantie pour l'émission d'Euro-obligations (Euro Project bonds) nécessaires au financement du plan d'investissements précité. Il s'ensuit que ce plan pourrait disposer au total d'environ 130 milliards par an pour un montant global d'environ 400 milliards d'euros sur trois ans (5).
L'adoption d'un plan européen de développement impliquant des investissements publics significatifs et le recours à une imposition fiscale européenne devrait naturellement être accompagnée par une réduction des dépenses prévues actuellement au niveau national dans les secteurs d'intervention de l'Union européenne.
Bien entendu, il faut être conscient du fait que la création de nouvelles ressources propres de l'Union exige une décision à l'unanimité des 28 Etats membres, suivie par les ratifications nationales (art. 311 TFUE). Il faut s'attendre, par conséquent, à ce que cette décision n'intervienne pas dans des délais raisonnables (d'autant que les Etats membres attendront le dépôt du rapport sur les ressources propres confié au groupe d'experts présidé par M. Monti). Une modification de la décision "ressources propres" - avec les mêmes exigences procédurales - serait également nécessaire pour introduire une obligation de financement d'un plan de développement ou de tout autre instrument financier à charge des seuls Etats membres de la zone euro. Par conséquent, une solution alternative envisageable serait celle esquissée dans le document de la Commission européenne appelé "Blueprint for a genuine EMU" du 28 novembre 2012. Selon ce document, il est possible de créer un nouvel instrument financier au sein du budget de l'Union pour appuyer le développement de l'économie européenne. La base juridique de cet instrument financier pourrait être l'art 136(1) TFUE, qui prévoit la possibilité d'adopter des mesures concernant uniquement les pays de la zone euro ou, de manière juridiquement plus solide, l'art. 352 TFUE. Si le financement de cet instrument financier ne pouvait pas être assuré par une modification de la décision sur les ressources propres à cause des exigences procédurales précitées, il faudrait prévoir un engagement des Etats membres de la zone euro, en dehors des Traités et sur une base intergouvernementale, de verser les "ressources affectées" nécessaires au budget de l'Union.
d) la base juridique nécessaire pour l'adoption du plan européen de développement et pour l'emploi.
L'initiative "New Deal for Europe" a prévu comme bases juridiques possibles pour l'adoption du plan européen les articles du Traité relatifs à la plupart des politiques sectorielles (politique agricole commune, politique de l'emploi, réseaux transeuropéens, politique de cohésion, politique de recherche). Ces bases juridiques, utilisables en partie ou en totalité en fonction des mesures concrètes que pourrait proposer la Commission européenne, auraient l'avantage de permettre l'adoption d'un plan européen de développement selon la procédure législative ordinaire (majorité qualifiée au sein du Conseil et codécision avec le Parlement européen). Toutefois, au cas où ces bases juridiques ne seraient pas jugées suffisantes pour l'adoption du plan, l'initiative citoyenne "New Deal for Europe" prévoit le recours, à titre accessoire, à la clause de flexibilité de l'art. 352 TFUE. Le recours à cette clause, dans ce cas à titre alternatif aux autres bases juridiques (conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice), serait possible dans la mesure où le Traité vise dans son art. 3 l'objectif du développement durable et du plein emploi sans avoir prévu pour autant les moyens d'action nécessaires pour le réaliser. Le recours à l'art. 352 rendrait nécessaire un accord de tous les Etats membres pour l'adoption du plan : cependant, l'exigence de l'unanimité des Etats membres serait de toute manière requise pour la création de nouvelles ressources propres, qui représente une "condition sine qua non" pour le financement du plan. Un accord unanime serait également nécessaire dans le cas où les pays participants décideraient de verser au budget de l'Union les ressources nécessaires au financement du plan par la voie d'un accord intergouvernemental (voir ci-dessus sous point c). Par conséquent, même si l'adoption du plan de développement pouvait se faire sur une base juridique majoritaire ou moyennant le recours à une éventuelle "coopération renforcée", l'accord des pays participants pour le financement du plan devrait se faire en tout état de cause à l'unanimité.
CONCLUSIONS.
La prise en compte effective du résultat des élections européennes exige, ainsi que l'ont souligné le Président et le Premier Ministre français, une réorientation des politiques de l'Union européenne vers la croissance et l'emploi. La Chancelière allemande a demandé aussi qu'une des quatre priorités de l'Union soit la croissance et l'emploi. Aussi bien le Premier Ministre italien que celui du Royaume-Uni sont intervenus dans le même sens. Il serait paradoxal que toutes les personnalités politiques qui demandent le respect du résultat des élections en ce qui concerne le choix du Président de la Commission ignorent la demande de la grande majorité des électeurs européens pour mettre un terme aux mesures de seule austérité de la part de l'Union. Même le Président du Conseil européen, pourtant très prudent dans ses discours publics, s'est exprimé en faveur d'un renversement de tendance dans le discours prononcé à l'occasion de la réception du prix Charlemagne.
Qui plus est, les journaux et les media des dernières semaines sont "noyés" d'analyses et de déclarations de la part d'économistes et autres experts de l'intégration européenne en faveur du lancement d'un vaste programme d'investissements publics en tant que moyen privilégié pour stimuler la croissance et réduire le chômage. La Confédération européenne des Syndicats a adopté en novembre 2013 un document sollicitant un plan d'investissements additionnels encore plus ambitieux que celui préconisé par l'initiative citoyenne "New Deal for Europe", à savoir un plan prévoyant une augmentation des investissements de l'ordre de 2% du PIB de l'Union européenne chaque année pour les dix prochaines années. Selon la CES, ces investissements produiraient à moyen terme jusqu'à 11 millions de nouveaux emplois à temps plein. Le puissant syndicat allemand DGB a proposé, quant à lui, un nouveau "Plan Marshall" pour la croissance et l'emploi en Europe. Une quarantaine de personnalités européennes (parmi lesquels les économistes Michel Aglietta et Michel Albert, le sociologue Ulrich Beck, les députés européens Alain Lamassoure, Jo Leinen, José Bové et Sylvie Goulard, Romano Prodi (ancien Président de la Commission européenne), Pascal Lamy (ancien Directeur de l'OMC), Henri Malosse (Président du Comité économique et social européen), l'historien Tzvetan Todorov, la journaliste Barbara Spinelli et d'autres) ont souscrit un Manifeste appelant à l'adoption d'un Plan européen extraordinaire de développement durable et pour la création d'emplois, à savoir l'ICE "New Deal for Europe". Parmi les candidats au poste de Président de la Commission européenne, quatre ont souscrit cette initiative citoyenne (M. Verhofstadt, M. Tsipras, M.Bové et M.me Franziska Keller). Martin Schulz, sans souscrire formellement l'ICE, en a partagé expressément le contenu et l'instrument.(6)
La seule différence d'approche entre les analystes ou leaders politiques est le choix entre le financement européen ou national des plans d'investissements et créateurs d'emplois. Comme déjà souligné ci-dessus sous point 5 a), la pénurie de ressources disponibles au plan national ne permettrait pas, en raison des contraintes du Pacte de Stabilité et du Fiscal Compact, d'adopter des plans d'investissements publics suffisamment importants pour relancer une croissance durable et réduire le chômage de manière significative. Les leaders politiques qui estiment pouvoir obtenir à bref délai un assouplissement des critères du Pacte de Stabilité (par exemple en excluant les investissements publics du calcul des 3% du PIB pour le déficit annuel) négligent les répercussions négatives qu'une augmentation de la dette publique produirait sur la notation des Agences de notation et, par conséquent, sur les taux d'intérêt qui seraient imposés par les marchés (surtout dans les pays ayant une dette publique très élevée).
Le thème de la croissance et de l'emploi sera, par conséquent, au centre du débat européen dans les prochains mois et, probablement, des initiatives que les gouvernements et les institutions européennes prendront dans la prochaine législature européenne. Cela ne garantit pas, pour autant, que l'initiative "New Deal for Europe" puisse atteindre le seuil requis d'un million de signatures dans au moins sept Etats membres. L'expérience des premières ICE (voir ci-dessus sous point 3) fait apparaître que les trois initiatives citoyennes ayant atteint le seuil d'un million de signatures sont celles qui ont été promues et soutenues par des organisations bien structurées et largement représentatives (la Fédération des services publics européens, affiliée à la CES, pour l'ICE sur l'eau publique ; les organisations de l'Eglise catholique pour l'ICE sur la protection de l'embryon humain ; les organisations environnementales et pour la défense des animaux dans le cas de l'ICE sur la lutte contre la vivisection). En revanche, d'autres initiatives qui véhiculaient un message pertinent et facilement compréhensible (par exemple, l'initiative "Fraternité 2020" pour le renforcement des programmes d'échange des jeunes ou l'initiative "Let me vote" pour l'extension du droit de vote dans le pays de résidence) sont restées largement en dessous du seuil requis.
Par conséquent, un engagement très important dans la diffusion de la campagne et la collecte des signatures de la part des organisations promotrices (notamment de celles ayant un degré élevé de représentativité) semble être, à la lumière des premières expériences, une "condition sine qua non" pour atteindre le seuil d'un million de signatures dans au moins sept Etats membres. Il serait paradoxal que des organisations représentatives telles que les syndicats, qui ont proposé des plans très ambitieux d'investissements publics pour la création d'emplois à la fois au niveau européen (CES) et au niveau national (DGB) ne s'engagent pas dans le soutien de l'initiative "New Deal for Europe". Celle-ci non seulement traduit en pratique le principe "La rigueur incombe aux Etats, la croissance revient à l'Union européenne" mais représente aussi la première réponse concrète aux résultats des élections européennes qui réclament, ainsi que plusieurs leaders politiques l'ont souligné, une réorientation des politiques de l'Union européenne de la seule austérité vers la croissance et l'emploi.
PAOLO PONZANO (Senior Fellow à l'IUE de Florence).
Notes de bas de page :
(1) Les documents relatifs à cette initiative citoyenne figurent sur le site "www.newdeal4europe.eu"
(2) Données contenues dans un article du Prof. Alberto Majocchi "Un Fonds européen pour la croissance et l'emploi" - Centre d'études sur le fédéralisme" - Turin - 17 Mars 2013.
(3) Voir J. Haug, A. Lamassoure, G. Verhofstadt, D. Gros, P. De Grauwe : "Europe for Growth : for a radical change in financing the EU" - Notre Europe, Paris, Avril 2011.
(4) Voir communication de la Commission européenne du 13 Avril 2011 (doc. COM(2011) 168) : "Pour une imposition fiscale intelligente de l'énergie au sein de l'UE".
(5) Voir articles de A. Longo : "New Deal for Europe" - Centre d'études sur le fédéralisme - 28 Avril 2014 et de A. Majocchi " Lignes directrices d'un plan de développement durable pour l'économie européenne" - Centre d'études sur le fédéralisme - Juin 2012.
(6) Une quarantaine de députés élus au Parlement européen ont souscrit l'initiative citoyenne "New Deal for Europe".